Zoltán Böszörményi, poète et auteur hongrois : une rencontre
Né en 1951 au sein de la minorité hongroise de Roumanie, tour à tour dissident, réfugié politique, capitaine d’industrie et directeur de revue littéraire, Zoltán Böszörményi est à la fois philosophe, romancier et poète (prix József Attila de poésie en Hongrie en 2012). Ses œuvres ont été traduites dans une demi-douzaine de langues. Il est entre autres Directeur du journal culturel Irodalmi Jelen et Président du PEN Club de Hongrie. A l’occasion de sa venue en France, pour la présentation de son dernier roman, Le Temps long, traduit par Raoul Weiss, paru aux Editions du Cygne, il a répondu à quelques questions à propos de son écriture, romanesque, et poétique, et de ce que signifie cet acte, écrire. Un entretien dirigé par Kaïna Bendar à partir de questions proposées par Julie Bietry.
Pourquoi avoir choisi une « petite fille » en tant que narratrice ?
J’ai vraiment connu cette fille. Certes, quand elle ne parlait déjà plus. Sa mort m’a choqué. Je n’ai pas pu m’y faire, pendant plusieurs jours. J’ai beaucoup réfléchi à son sort. Pourquoi s’est-elle laissée mourir de faim ? Pourquoi personne ne lui a expliqué quand il était encore temps qu’il y avait un moyen de sortir de ce calvaire ? L’amour maternel est important. Mais un professionnel, un psychologue, aurait dû lui expliquer que sa mère l’aimait malgré tout, certes différemment, mais qu’elle l’aimait. Que nous ne sommes pas tous pareils et que nous exprimons notre amour de différentes manières. Avant de commencer à écrire ce roman, j’ai enfilé les habits d’un journaliste d’investigation en me rendant au domicile de la jeune fille, j’ai parlé à sa grand-mère — la mère n’était pas à la maison à ce moment-là -, à ses proches, je me suis rendu à l’école où elle étudiait, j’ai contacté son ancienne professeure.
Zoltán Böszörményi, Le Temps long, Editions du Cygne, 2023, 112 pages, 13 €.
Mais cette dernière ne pouvait pas et ne voulait pas parler honnêtement de cette histoire, elle m’a envoyé auprès de la directrice. J’ai également contacté le maire de la petite ville, qui a répondu à mes questions ouvertement et honnêtement, et m’a donné le nom et le numéro de téléphone de l’assistante sociale en charge des enfants. J’ai appris que l’école n’avait pas de psychologue pour enfants, que l’assistante sociale n’avait pas reçu la formation nécessaire pour aider la fillette et que cette dernière avait été transportée à l’hôpital alors que son état était tellement détérioré qu’elle pouvait à peine marcher. J’ai rassemblé beaucoup d’informations et il ne me restait plus qu’à commencer à écrire le roman. Mais je n’y arrivais pas. J’ai travaillé sur le texte pendant des semaines, mais je n’arrivais à rien. Je suis resté assis devant l’écran de mon ordinateur, abasourdi, et aucune pensée ne me venait. Plus d’un mois s’est écoulé, jusqu’à ce qu’un matin, je me rende compte que j’avais moi-même grandi sans mère. Pendant des années, j’avais cherché l’amour de ma mère, sa présence, ses caresses, la chaleur de son âme m’avaient manqué. À l’âge de soixante-sept ans, je suis entré dans le rôle de cette fillette et j’ai écrit ce livre en à peine un mois.
Que vous évoque l’anorexie ?
Comment définiriez-vous le personnage de la mère dans votre roman ?
Avez-vous songé à une fin différente ?
Est-ce que l’écriture de ce livre vous a soulagé d’un poids dans votre vie personnelle ?
Dans ce roman, vous avez choisi de mettre à l’écart la figure paternelle. Pourquoi ?
Avez-vous dû vous-même « fermer les yeux » sur certaines choses quand vous étiez enfant ?
Pensez-vous que ce roman est perçu différemment selon le pays dans lequel il est publié ?
Beaucoup d’exemplaires ont été vendus en Hongrie et les critiques ont afflué. En Roumanie, j’ai été interviewé à la télévision parce que l’histoire de la petite fille avait suscité beaucoup d’émotion chez les gens. L’édition roumaine a également été particulièrement importante car tout le monde savait que l’enfant était originaire de Transylvanie, et de nombreuses personnes avaient entendu parler de cette tragédie dans les journaux et à la télévision. Aujourd’hui, il y a plus de 150 000 enfants en Roumanie dont l’un ou les deux parents vivent et travaillent à l’étranger, et je pense que ce chiffre est sous-estimé. Ces enfants sont élevés par des grand-parents, outre membre de famile, ou des voisins. Avec mon roman, j’ai aussi voulu attirer l’attention des autorités et du public sur ce phénomène tragique. Ces enfants seront psychologiquement endommagés et cela les affectera pour le reste de leur vie. Lorsque j’ai présenté l’édition russe du roman à Moscou, de nombreuses femmes ont fait la queue pour une dédicace, et la lecture de passages y a eu beaucoup de succès. Mais c’est probablement en Allemagne que mon livre a eu le plus de succès jusqu’à présent. La directrice des bibliothèques allemandes, après avoir lu mon roman, a demandé aux bibliothèques de se le procurer. De nombreux exemplaires ont été vendus. Par ailleurs, le livre est aussi paru aux États-Unis et en Espagne. Je suis très heureux que mon livre soit publié en français, et je remercie tout particulièrement Raoul Weiss pour la traduction et M. Patrice Kanozsai, fondateur et directeur des éditions Cygne à Paris, pour la publication.